Il y a deux concepts cognitifs qui permettent de percevoir autrui, de nous percevoir nous-mêmes et de percevoir les institutions sociales, à savoir l’agentivité (la performance) et la communauté. Ce premier conditionne notre autoévaluation, comme l’a prouvé le professeur Bogdan Wojciszke, psychologue, qui a examiné plusieurs milliers de personnes et qui est, en Pologne, le précurseur des recherches sur l’agentivité.
En 2007, l’Association européenne de psychologie sociale (EASP) a décerné à Bogdan Wojciszke la prestigieuse médaille Moscovici pour ses recherches dans le domaine de l’agentivité et la communauté qu’il a menées en collaboration avec la professeure Andrea Abele de l’Université d’Erlagen-Nuremberg. Bogdan Wojciszke a consacré de nombreuses années d’études aux problèmes de l’affectivité et du pouvoir. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels La psychologie de l’amour: intimité, passion, engagement et Les moyens d’évaluation d’autrui. Il a bénéficié d’une bourse de recherche de la Fondation von Humboldt et a participé aux stages scientifiques à l’Université d’Aberdeen, à l’Institut Max Planck de Berlin et aux Universités de Cambridge et d’Oxford. Il a remporté de nombreux prix, parmi lesquels le prix de la Fondation pour la science polonaise.
– Quel est le sujet actuel de vos recherches?
Bogdan Wojciszke : – Depuis une dizaine d’années, ce qui m’intéresse surtout, c’est l’existence de deux concepts cognitifs qui permettent de percevoir les autres, de nous percevoir nous-mêmes et de percevoir les institutions sociales, à savoir deux dimensions de la cognition sociale: l’agentivité et la communauté. L’agentivité, c’est l’efficacité de nos actions, l’accent mis sur la réalisation de nos objectifs, notre compétitivité. Le concept de la communauté, par contre, est lié à nos relations sociales et à ce qui nous aide à établir et maintenir des liens sociaux. Je réalise ces recherches en collaboration avec la professeure Andrea Abele de l’Université d’Erlangen.
Quelles sont les conclusions de vos recherches?
Il s’avère que la pertinence de ces deux types de contenus diffère selon que nous examinons autrui ou nous-mêmes. Lorsque nous regardons autrui, nous faisons surtout attention aux contenus communautaires, nous voulons savoir si cette personne peut nous offrir quelque chose de bien ou plutôt nous faire du mal, si ses intentions sont bonnes ou mauvaises. Le fait que nous ayons une attitude positive envers quelqu’un ou, qu’au contraire, nous l’évitions, est fortement influencé par la façon dont nous percevons ses traits communautaires. Si cette personne est chaleureuse, cordiale, morale et honnête, nous voulons rester en contact avec elle. Par contre, son agentivité ne nous intéresse pas, nous nous soucions peu de sa compétitivité et de sa faculté de réaliser ses objectifs.
Et comment nous percevons-nous nous-mêmes?
Ça, c’est très intéressant, car, quand nous nous observons nous-mêmes, c’est tout à fait le contraire. Nous ne faisons pas attention à notre moralité, ni à notre honnêteté, car nous supposons posséder ces deux qualités. Par contre, nous nous concentrons fortement sur notre agentivité, notre compétitivité et notre faculté d’atteindre nos objectifs, ainsi que sur la mesure dans laquelle nous nous rapprochons ou éloignons de ces objectifs. Notre autoévaluation dépend fortement de la façon dont nous percevons notre agentivité, et elle n’est presque pas du tout liée à la façon dont nous percevons nos traits communautaires. Il en est de même avec nos proches, nos enfants par exemple : lorsque nous pensons à eux, nous les percevons surtout à travers leur agentivité.
Est-ce que les groupes analysés, par exemple en Pologne et en Allemagne, diffèrent à cet égard?
En fait, non. Nous avons pensé que la prédominance de l’agentivité dans l’autoévaluation dépendait en grande partie de la culture. Les cultures individualistes (comme en Grande Bretagne) mettraient l’accent sur l’agentivité individuelle, alors que les cultures collectivistes (comme en Chine) – sur les compétences du travail en équipe. Mais nous avons fait de nombreuses études en Chine, au Japon ou en Colombie, et il s’est avéré que, là-bas aussi, l’autoévaluation dépendait étroitement de la façon dont les gens concevaient leur agentivité, et qu’elle était très peu liée avec leur caractère communautaire. C’est exactement le cas des cultures individualistes en Grande Bretagne ou en Hollande.
Est-ce que vous envisagez de continuer vos recherches? Dans quels pays?
Oui, nous poursuivons nos recherches en Pologne et en Allemagne. En tout, nous avons déjà examiné plusieurs milliers de personnes.
SWPS Université des sciences sociales et humaines
Faculté de psychologie à Sopot, Université SWPS